à l’écoute : Balade à Herculanum |
Le propos d’une minéralisation[1] colorisée.– La perception des couleurs, au-delà des constats physiques, a manifestement une résonance affective liée à une culture. Toutefois, la nature empirique des associations de couleurs serait intimement liée à une nécessité antérieure au langage relevant de l’évolution naturelle du vivant. Certaines fleurs ont adapté, au cours de l’évolution, leurs couleurs au spectre visible perçu par les abeilles. Elles renforcent ainsi, et de façon notable, la probabilité d’être pollinisées. On pourrait envisager une grammaire universelle de la couleur où, selon le contexte, des éléments logiques font place à des processus stochastiques. |
Trois images allochtones troublent, au centre, la continuité.Minéralisations |
Textes circonstanciés… ou pas ! |
Ludwig Tieck écrit :« Quelle chose merveilleuse que de se plonger dans la contemplation d’une couleur, considérée comme simple couleur! Comment se fait-il que le bleu lointain du ciel éveille notre nostalgie, que le pourpre du soir nous émeuve, qu’un jaune clair, doré, puisse nous consoler et nous apaiser?» |
Nietzsche, La Naissance de la tragédie, § 1… Nous aurons fait en esthétique un grand pas lorsque nous serons parvenus non seulement à la compréhension logique mais à l’immédiate certitude intuitive que l’entier développement de l’art est lié à la dualité de l’apollinien et du dionysiaque comme, analogiquement, la génération – dans ce combat perpétuel où la réconciliation n’intervient jamais que de façon périodique – dépend de la différence des sexes. (…) Ces deux impulsions si différentes marchent de front, mais la plupart du temps en conflit ouvert, s’excitant mutuellement à des productions toujours nouvelles et de plus en plus vigoureuses afin de perpétuer en elles ce combat de contraires (…) jusqu’à ce qu’enfin, par un geste métaphysique miraculeux de la « volonté » hellénique, elles apparaissent accouplées l’une à l’autre et, dans cet accouplement, en viennent à engendrer l’œuvre d’art à la fois dionysiaque et apollinienne, la tragédie attique. Pour nous rendre plus proches ces deux impulsions, représentons-les-nous d’abord comme les deux modes esthétiques distincts du rêve et de l’ivresse, dont les manifestations physiologiques offrent une opposition correspondant à celle de l’apollinien et du dionysiaque. (…) La belle apparence de ces mondes du rêve que tout homme enfante en artiste consommé est ce que présupposent l’ensemble des arts plastiques et même, nous le verrons, une large part de la poésie. (…) [N]otre être le plus intime, ce fonds souterrain qui nous est commun à tous, trouve à faire, dans le rêve, l’expérience d’un plaisir profond et d’une heureuse nécessité. (…) On pourrait (…) désigner Apollon comme la superbe image divine du principium individuationis, dont le geste et le regard nous disent tout le plaisir et toute la sagesse de l’« apparence », ensemble avec sa beauté. (…) Schopenhauer nous décrit la prodigieuse horreur qui s’empare de l’homme que désorientent soudain les formes conditionnant la connaissance des phénomènes (…). Si nous ajoutons à cette horreur l’extase délicieuse que la rupture du principium individuationis fait monter du fond le plus intime de l’homme, ou même de la nature, alors nous nous donnerons une vue de l’essence du dionysiaque que l’analogie de l’ivresse nous rendra plus proche encore. Que ce soit sous l’influence du breuvage narcotique dont parlent dans leurs hymnes tous les hommes et les peuples primitifs, ou lors de l’approche puissante du printemps qui traverse la nature entière et la secoue de désir, s’éveillent ces émotions dionysiaques qui, à mesure qu’elles gagnent en intensité, abolissent la subjectivité jusqu’au plus total oubli de soi. |
Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l’art, V… L’âme étant, en règle générale, étroitement liée au corps, il est possible qu’une émotion psychique en entraîne une autre, correspondante, par association. Par exemple, la couleur rouge peut provoquer une vibration de l’âme semblable à celle produite par une flamme, car le rouge est la couleur de la flamme. Le rouge chaud est excitant, cette excitation pouvant être douloureuse ou pénible, peut-être parce qu’il ressemble au sang qui coule. Ici cette couleur éveille le souvenir d’un autre agent physique qui, toujours, exerce sur l’âme une action pénible. Si c’était le cas, nous trouverions facilement par l’association une explication des autres effets physiques de la couleur, c’est-à-dire non plus seulement sur l’œil mais également sur les autres sens. On pourrait par exemple admettre que le jaune clair a un effet acide, par association avec le citron. Mais il est à peine possible d’accepter de telles explications. A propos du goût de la couleur, les exemples ne manquent pas où cette explication ne peut être retenue.Un médecin de Dresde rapporte que l’un de ses patients, qu’il caractérise comme un homme d’un « niveau intellectuel très supérieur », avait coutume de dire qu’une certaine sauce avait immanquablement le goût de « bleu », c’est-à-dire qu’il la ressentait comme la couleur bleue. (…) Ce serait une sorte d’écho ou de résonance, comme cela se produit avec les instruments de musique dont les cordes, ébranlées par le son d’un autre instrument, s’émeuvent à leur tour. Des hommes d’une telle sensibilité sont comme l’un de ces bons violons dont on a beaucoup joué et qui, au moindre contact de l’archet, vibrent de toutes leurs cordes. Si l’on admet cette explication, il ne faut pas mettre l’œil uniquement en liaison avec le goût, mais également avec tous les autres sens. Certaines couleurs peuvent avoir un aspect rugueux, épineux, d’autres, par contre, donnent une impression de lisse, de velouté, que l’on a envie de caresser (le bleu outremer foncé, le vert de chrome, le carmin). Même la différence d’impression de chaud ou de froid des tons de couleurs repose sur cette sensation. (…) Enfin l’audition des couleurs est tellement précise qu’on ne trouverait certainement personne qui tente de rendre l’impression de jaune criard sur les basses d’un piano ou compare le carmin foncé à une voix de soprano. |
Johann Wolfgang von Goethe… Roue de couleur pour symboliser l’esprit humain et la vie de l’âme, 1809, original : Musée-Goethe de Francfort. le schéma illustre le chapitre « allégorique, symbolique, mystique utilisation de couleur » dans la théorie de Goethe de couleurs. Inscription: (anneau intérieur) [rouge] [orange] « beau » « noble » [jaune] « bon » [vert] « utile » [bleu] « commun » [Violet] « unnöthig » (anneau extérieur) [orange] « raison » [vert] « compris » [vert-bleu] « Sensualité » [rouge violet] « imagination » Texte Original ( source ) Farbenkreis zur Symbolisierung des menschlichen Geistes- und Seelenlebens, 1809, Original: Freies Deutsches Hochstift – Frankfurter Goethe-Museum Das Schema illustriert das Kapitel « Allegorischer, symbolischer, mystischer Gebrauch der Farbe » in Goethe’s Farbenlehre. Umschrift: (innerer Ring) [rot] « schön » [orange] « edel » [gelb] « gut » [grün] « nützlich » [blau] « gemein » [violett] « unnöthig » (äusserer Ring) [rot-orange] « Vernunft » [gelb-grün] « Verstand » [grün-blau] « Sinnlichkeit » [violet-rot] « Phantasie » |
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Johannes Itten |
James Sowerby |
Otto Runge |
Joseph von Fraunhofer……est un opticien et physicien allemand (né le 6 mars 1787 à Straubing, en Bavière, et mort à Munich le 7 juin 1826). Il fut l’inventeur du spectroscope avec lequel il repéra les raies du spectre solaire. La Fraunhofer-Gesellschaft lui doit son nom. Raies de Fraunhofer avec leur notation alphabétique et les longueurs d’onde correspondantes. Wellenlängue se traduit par « longueur d’onde » et nm « nanomètre« . On la dénote communément par la lettre grecque λ (lambda). |
A. Boogert : Traité des couleurs servant à la peinture à l’eauBibliothèque Méjanes [France] (Aix-en-Provence, FRANCE) C’est à l’historien hollandais Erik Kwakkel que l’on doit la redécouverte de cette extraordinaire document. En 1692, un artiste hollandais, appelé A. Boogert, a débuté l’écriture d’un livre sur l’art des mélanges en aquarelle. Il commence son livre par une solide réflexion sur l’utilisation de la couleur en peinture puis se met à décrire et expliquer les dilutions. A. Boogert peint ensuite un exemple de toutes les couleurs inimaginables avec différentes teintes et saturations. |
http://bibliotheque-numerique.citedulivre-aix.com/viewer/35315/?offset=#page=7&viewer=picture&o=bookmarks&n=0&q= |
Annexes
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Minéralisation:
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Minéralisations Minéralisations …
Visuel, musical, esthète, savant : pfff ! La classe.
Sans compter une humilité que l’on m’envie dans les plus grands monastères !!!! 🙂
Nous avons tous une couleur qui, sans que ce soit conscient,se retrouve chez nous, sur nous et une autre que l’on ignore. Je crois que je vais imaginer ma couleur préférée en musique en sons. Je l’ai retrouvée dans les minéralisations. Instinctivement c’est sur elle que mon oeil s’attardait et que mon oreille captait la musique. Il fallait y penser …..
Quelle est cette couleur? 🙂
Sur Facebook:
Magnifique proposition, écoutée deux fois et les textes cités prolongent plaisir et réflexion; un livre à lire Le détail du monde, l’art perdu de la description de la nature par Romain Bertrand / Les mots nous manquent pour dire le plus banal des paysages. Vite à court de phrases, nous sommes incapables de faire le portrait d’une orée. Un pré, déjà, nous met à la peine, que grêlent l’aigremoine, le cirse et l’ancolie. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi.
Au temps de Goethe et de Humboldt, le rêve d’une « histoire naturelle » attentive à tous les êtres, sans restriction ni distinction aucune, s’autorisait des forces combinées de la science et de la littérature pour élever la « peinture de paysage » au rang d’un savoir crucial.
La galaxie et le lichen, l’enfant et le papillon voisinaient alors en paix dans un même récit.
Ce n’est pas que l’homme comptait peu : c’est que tout comptait infiniment.
Des croquis d’Alfred Wallace aux « proêmes » de Francis Ponge, des bestiaires de William Swainson aux sonnets de Rainer Maria Rilke, ce livre donne à entendre le chant, aussi tenace que ténu, d’un très ancien savoir sur le monde – un savoir qui répertorie les êtres par concordances de teintes et de textures, compose avec leurs lueurs des dictionnaires éphémères, s’abîme et s’apaise dans le spectacle de leurs métamorphoses.
Message dédié à Annie Bergougnous, Aïdée Bernard, Martine Cadeo, botanistes, herboristes, naturalistes, survivalistes. Lire aussi les lettres sur la botanique de Rousseau: Les descriptions de Rousseau sont à la fois scientifiques – il met un soin maniaque à décrire les fleurs, pétales, pistils – mais traduisent aussi son amour de la nature. « Quand les premiers rayons du printemps auront éclairé vos progrès, en vous montrant dans les jardins les Jacinthes, les Tulipes, les Narcisses, les Jonquilles et les Muguets, dont l’analyse vous est déjà connue, d’autres fleurs arrêteront bientôt vos regards et vous demanderont un nouvel examen. » La sensualité des plantes.
Rousseau invite à une observation active, où il s’agit de manipuler, décortiquer, observer, en vrai.
Il décrit joyeusement cette nature, avec poésie et sensualité : »Après avoir bien examiné ce pétale, tirez-le doucement par-dessous en le pinçant légèrement par la quille, c’est-à-dire par la prise mince qu’il vous présente, de peur d’enlever avec lui ce qu’il enveloppe. Je suis sûr qu’au moment où ce dernier pétale sera forcé de lâcher prise, vous ne pourrez, en l’apercevant, vous abstenir de faire un cri de surprise et d’admiration. »
La Giroflée, la digitale pourpre, le Lys, l’Origan, la Marjolaine, les Pâquerettes ou les Marguerites … Rousseau est intarissable et montre un enthousiasme presqu’enfantin à partager sa passion des fleurs, si bien qu’on n’hésite pas à le croire quand il affirme : « Je vais devenir plante moi-même un de ces matins ». Et pour terminer, le fabuleux Hortus Conclusus de Gabrielle de Lassus Saint-Geniès.
Merci pour cet impressionnant et riche commentaire ! Je reconnais que la description de la nature reste un exercice difficile… Je m’y emploie, parfois, musicalement; c’est, pour moi, plus facile !