Autoportrait d’une Locomotive à Vapeur

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Locomotive à Vapeur
ComGris
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AUTOPORTRAIT D'UNE LOCOMOTIVE A VAPEUR
Composition pour :
Trois pianos, dont un dit préparé que l’on joue comme une percussion et un Fender Rhodes.
Divers Gongs — Quelques Wood Blocks — Une Caisse Claire — Un Grand Tambour D’orchestre — Un Carillon tubulaire — Timbales d’Orchestres — Diverses percussions métalliques.

Une bande-son d’ambiances sonores.


 

Une composition dont le teneur relève le contraire du mécanomorphisme (tendance à attribuer aux êtres vivants et à l’Homme les caractéristiques d’une machine). 
Avec l’imagination en aide, l’engin nous montre ses émotions, ici, présentement musiquées.
Les trains, jouets des tout petits, sont souvent représentés avec un visage souriant.
L’imagination enfantine lui donne la vie et une humanité empreinte d’empathie, l’objet merveilleux a le pouvoir de consoler et rassurer. Un anthropomorphisme mécanique identique à celui que l’on accorde aux animaux.
– 

Il n’est pas rare, dans la littérature et le cinéma, on se souvient du superbe Métropolis de Fritz Lang, que les appareils soient dotés d’une intelligence presque humaine.

Mais c’est l’intelligence artificielle d’avant la robotique qui m’intéresse. Celle qui relève de la poésie.
Les émotions, ici, sont celles d’une locomotive à vapeur. Conséquemment, ce ne seront pas les sons externes qui bâtiront cette composition, mais plutôt ce qui demeure de l’intériorité de la machine, de l’inaudible et surtout de l’imaginaire que l’on y apporte. 
Ne soyez pas surpris, dans cette composition, les bruits des pièces métalliques en mouvement ne sont pas directement illustrés.
Tout ceci à cause d’une que l’on nommait Lison. Mr Zola nous contera l’histoire plus bas !
Locomotive à VapeurJ’en avais déjà causé dans un article mécanique : un moteur dans les Estats et Empires de la Lune.
Le lecteur, aussi fidèle que pugnace, pourra consulter cette publication après l’écoute somptueuse de cette œuvre vaporeuse calorifère et charbonneuse.
J’aurais pu énumérer, les modes, les tempos et les signatures de portées, mais ceci demeurait tragiquement ennuyeux… Vous avez la liste des instruments, c’est presque trop.
Il serait dommage de sombrer dans la froideur d’un article de musicologues qui, trop souvent, sont à la musique ce que les gynécologues sont à la sexualité romantique (oui, il y en a une !).

Un texte frileux à côté d’une chaudière munie d’un surchauffeur tubulaire serait un non-sens. La flamme au foyer, voilà ce qui importe. L’art de se faire des amis.ies !

Gare de Toulon-en-1965

Locomotives en gare de Toulon vers 1965.

Mais revenons à nos pistons, bielles, soupapes, chaudières, boite à fumée et cheminées.
Je devais être vraiment très jeune et je me souviens, tant l’événement m’a marqué, avoir vu une locomotive à vapeur dans la gare de Toulon.
J’allais avec mes grands-parents paternels visiter le zoo de Marseille dont je n’ai que très peu de souvenirs alors que ceux de cette dantesque mécanique sont bruyamment présents. L’émotion fut elle qu’il semble évident qu’ils ressurgissent de temps en temps, plus correctement, chaque fois que je me rends dans la Gare de Toulon pour monter dans un train presque trop silencieux.
Cet engin noir, avec quelques touches de rouge, fut certainement l’un des derniers à passer par là, juste avant l’électrification de la ligne et la dramatique disparition du romantisme ferroviaire et vaporeux, avec ses wagons compartimentés.
C’était quand le temps du voyage permettait tous les possibles.
Locomotive à Vapeur,Dada,mécanomorphisme,l’agonie de la Lison,musique contemporaine - The Den without End - Frank César LOVISOLO - Une bande-son d’ambiances sonores.C’est énorme une locomotive à vapeur, surtout lorsqu’on est petit et que les roues motrices sont plus grandes que nous.
C’est bruyant, une locomotive à vapeur, ça fait un boucan de tous les diables ces centaines de pièces métalliques en mouvement, la vapeur stridulante jaillissant des soupapes, les coups de sifflet impétueux, la stridence des freins grinçants et l’entrechoquement des wagons quand l’ensemble s’immobilise dans le brouillard blanc de ces nuages diaphanes qui fusent de tous les orifices de cette mécanique surchauffée.
Petit, sur l’immense quai, on est inévitablement submergé par ce brouillard. L’unique chose que l’on peut concrètement voir ce sont nos pieds posés sur l’asphalte noirâtre, ce qui est à peine rassurant. Seule la main de ma grand-mère disparue dans cette brumasse me ramène à la réalité, elle vient de forcer l’étreinte, certainement la crainte de me voir me précipiter sous les roues de la machine.  
Il faudra, ensuite, escalader l’escalier himalayen avant d’arriver dans la cabine salvatrice où sont affichées quelques photos, en noir et blanc et encadrées de métal, de la France parcourue par les trains de la SNCF, quelques sites touristiques remarquables. Une incitation poétique au voyage, qui a disparu dans la froideur de la modernité, maintenant remplacée par des publicités souvent infantiles.
Quant au bruit, on peut l’écouter ci-dessous:
Locomotive à vapeur - Pacific 231

Locomotive à vapeur – Pacific 231

Bien plus tard…
Arthur Honegger en 1928.

Arthur Honegger en 1928.

… adolescent, j’écoutais sans relâche la radio, principalement France Musique, il n’y avait pas tellement de choix à cette époque. Ils ont eu la bonne idée de diffuser  « Pacific 231 » l’œuvre orchestrale d’Arthur Honegger.
 « J’ai toujours aimé passionnément les locomotives. Pour moi, ce sont des êtres vivants et je les aime comme d’autres aiment les femmes ou les chevaux. » Déclara-t-il. (Ferroviphile ? Ferrovipathe ? Locomotivophile ? – j’hésite !)

Une composition qui décrit, dans son déroulé, tous les bruits et comportements de la machine. Il utilise aussi le motif répétitif que l’on perçoit comme passager, ce rythme lancinant du choc des roues qui passent d’un rail à l’autre. Accélérations et décélérations cadencent la symphonie et nous incitent au voyage.
Il y a là les prémices de la musique électroacoustique, l’usage des possibilités sonores infinies, qui deviendront progressivement la norme musicale dominante dans la deuxième partie du XXe siècle et dont on se sert toujours avec l’art musical électronique. 
Quelques années avant, Luigi Russolo fut un précurseur dans ce domaine. 

 

Puis il y aura le fabuleux «Different Trains»…

Rain, Steam and Speed – The Great Western Railwayest - Joseph Mallord William Turner 1844

Rain, Steam and Speed – The Great Western Railwayest

Joseph Mallord William Turner 1844

Steve Reich… du compositeur de musique contemporaine américain Steve Reich, écrite en 1988. Un quatuor à cordes avec une bande-son [magnétique].
L’originalité de cette composition repose dans le fait qu’il utilise, pour la première fois, des enregistrements d’interviews réalisés pour l’œuvre et non de simples bandes magnétiques retravaillées
C’est une œuvre relative au voyage qu’effectua le compositeur pour rendre visite à ses parents séparés de 1939 à 1942. Le père vit sur la côte est des États-Unis à New York et la mère sur la côte ouest à Los Angeles, un voyage qui à ce moment-là dure deux jours.
C’est surtout cette effrayante interrogation qu’il se fit, remémorant ces déplacements : en tant que juif, s’il avait vécu en Europe au lieu des États-Unis à cette époque, il aurait peut-être voyagé dans l’un des trains de l’Holocauste, un périple certainement sans retour.

Different Trains est composé de trois mouvements, qui portent les titres suivants :

1. America – Before the War (9’00) – Amérique – Avant la guerre
2. Europe – During the War (7’30) – Europe – Pendant la guerre
3. After the War (10’30) – Après la guerre

Ces deux œuvres font parti de ma discothèque et je les écoute fréquemment.

Locomotive à Vapeur,Dada,mécanomorphisme,l’agonie de la Lison,musique contemporaine - The Den without End - Frank César LOVISOLO - Une bande-son d’ambiances sonores.l’agonie de la Lison

On n’entendait plus, on ne voyait plus. La Lison, renversée sur les reins, le ventre ouvert, perdait sa vapeur, par les robinets arrachés, les tuyaux crevés, en des souffles qui grondaient, pareils à des râles furieux de géante.

Une haleine blanche en sortait, inépuisable, roulant d’épais tourbillons au ras du sol ; pendant que, du foyer, les braises tombées, rouges comme le sang même de ses entrailles, ajoutaient leurs fumées noires.

La cheminée, dans la violence du choc, était entrée en terre ; à l’endroit où il avait porté, le châssis s’était rompu, faussant les deux longerons ; et, les roues en l’air, semblable à une cavale monstrueuse, décousue par quelque formidable coup de corne, la Lison montrait ses bielles tordues, ses cylindres cassés, ses tiroirs et leurs excentriques écrasés, toute une affreuse plaie bâillant au plein air, par où l’âme continuait de sortir, avec un fracas d’enragé désespoir.

Justement, près d’elle, le cheval qui n’était pas mort, gisait lui aussi, les deux pieds de devant emportés, perdant également ses entrailles par une déchirure de son ventre. […] on le voyait râler, d’un hennissement terrible, dont rien n’arrivait à l’oreille, au milieu du tonnerre de la machine agonisante.

Émile Zola, La Bête humaine (1890), chap. X
En complément :

Pierre Schaeffer - Etude aux chemins de fer 1948

Amusant ce coup de sifflet qui ressemble à celui Ennio Morricone au début de la musique du film : Le Bon la Brute et le Truand


Cette étude rude et naïve c’est le primitif par excellence où l’on sent percer l’audace essentielle de la découverte concrète.
Selon la naturelle ambivalence des bruits d’un chemin de fer, on peut considérer, soit l’évocation sonore de l’objet (il s’agit alors d’un bruitage de caractère dramatique) soit l’objet sonore arraché à son contexte, coupé de toute allusion, par l’artifice de la déformation ou de la répétition (et c’est, à la limite, une musique).

Merci à François Htn, qui, dans un commentaire sur Facebook, m’a donné cette information.
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Dada, pour l’illustration…
Il est bien utile de rappeler ici que Dada n’est pas mort. L’actualité nous confirme tous les jours l’indispensabilité de ce mouvement du début du XXe siècle. Il est plus que préférable que cette remise en cause des conventions et contraintes idéologiques, esthétiques et politiques se perpétuent. Principalement quand on subodore l’amorce d’un recul social typiquement dû au comportement mortifère du capitalisme. Pour tous les arts, j’espère que ce courant restera en action longtemps. Il est nécessaire aux créateurs afin qu’ils ne succombent jamais à la facilité du lobbyisme, conséquemment à l’asservissement politique, et qu’ils n’aient pour rien au monde l’attitude grossière du petit courtisant, bien trop fréquente actuellement.
4 autoportraits de cette locomotive à vapeur ( aujourd’hui disparue ).

Autoportrait d'une Locomotive à Vapeur

Autoportrait d’une Locomotive à Vapeur – 1

Locomotive à Vapeur,Dada,mécanomorphisme,l’agonie de la Lison,musique contemporaine - The Den without End - Frank César LOVISOLO - Une bande-son d’ambiances sonores.

Autoportrait d’une Locomotive à Vapeur – 2

Locomotive à Vapeur

Autoportrait d’une Locomotive à Vapeur – 3

Locomotive à Vapeur

Autoportrait d’une Locomotive à Vapeur – 4

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2 Commentaires

  1. Jenny Quadri Guillard

    De Toulon je suis passée à l’agonie de la Lison que j’ignorais et toujours avec le même plaisir image et musique.

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