à l’écoute : Brume |
Quand la neige à Toulon inspire le souvenir et c’est si rare… |
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Ballade des dames du temps jadis |
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Dites-moi où, n’en quel pays,
Est Flora la belle Romaine, Archipiades, ni Thaïs, Qui fut sa cousine germaine, Écho parlant quand bruit on mène Dessus rivière ou sur étang, Qui beauté eut trop plus qu’humaine Mais où sont les neiges d’antan? –
Où est la très sage Héloïs, Pour qui fut châtré et puis moine Pierre Abelard à Saint-Denis? Pour son amour eut cette essoine. Semblablement, où est la reine Qui commanda que Buridan Fut jeté en un sac en Seine? Mais où sont les neiges d’antan? –
La reine Blanche comme lis Qui chantait à voix de sirène, Berthe au grand pied, Bietris, Alis, Haremburgis qui tint le Maine, Et Jeanne la bonne Lorraine Qu’Anglais brûlèrent à Rouen; Où sont-ils, où, Vierge souveraine? Mais où sont les neiges d’antan? –
Prince, n’enquerrez de semaine Où elles sont, ni de cet an, Qu’à ce refrain ne vous remaine: Mais où sont les neiges d’antan? |
Dictes moy ou n’en quel pays,
Est Flora, la belle Romaine, Archipïadés, ne Thaÿs, Qui fut sa cousine germaine, Echo parlant quant bruyt on maine Dessus riviere ou sur estan, Qui beaulté ot trop plus qu’umaine. Mais ou sont les neiges d’anten ? –
Ou est la tres saige Esloÿs,
Pour qui chastré fut et puis moyne Piere Esbaillart a Saint Denys ? Pour son amour eust ceste essoyne. Semblablement, ou est la royne Qui commanda que Buriden Fust gecté en ung sac en Saine ? Mais ou sont les neiges d’anten ? –
La Royne Blanche comme liz
Qui chantoit a voix de seraine, Berte au plat pié, Bietrix, Aliz, Haranbourgis qui tint le Maine, Et Jehanne la bonne Lorraine Qu’Engloys brulerent a Rouen, Ou sont ilz, ou, Vierges souveraine ? Mais ou sont les neiges d’antent ? –
Prince, n’enquerrez de sepmaine
Ou elles sont ne de cest an, Qu’a ce reffraing ne vous remaine : Mais ou sont les neiges d’antent ? |
François de Montcorbier dit Villon
Né en 1431 (peut-être à Paris) et mort après 1463, est un poète français de la fin du Moyen Âge. Écolier de l’Université, maître de la faculté des Arts dès 21 ans, il mène tout d’abord la vie joyeuse d’un étudiant indiscipliné du Quartier latin. À 24 ans, il tue un prêtre dans une rixe et fuit Paris. Amnistié, il s’exile de nouveau, un an plus tard, après le cambriolage du collège de Navarre. Accueilli à Blois à la cour du prince-poète Charles d’Orléans, il échoue à y faire carrière. Il mène alors une vie errante et misérable. Emprisonné à Meung-sur-Loire, libéré à l’avènement de Louis XI, il revient à Paris après quelque six ans d’absence. De nouveau arrêté lors d’une rixe, il est condamné à la pendaison. Après appel, le Parlement casse le jugement mais le bannit pour dix ans ; il a 31 ans. Ensuite, on perd totalement sa trace. … Le monde de Villon, c’est le Paris de Charles VII. Le Paris de la rive gauche avec son Université (50 collèges, 3000 « artiens », 600 théologiens, juristes et médecins en puissance), ses religieux, ses tavernes et ses prostituées (« Tous aux tavernes et aux filles»), mais aussi de la rive droite avec ses harengères (« Il n’est bon bec que de Paris»), son cimetière des Innocents (« Quant je considere ses testes / Entassees en ses charniers»), ses sergents et le gibet de Montfaucon (« la Montjoye»). |
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Victor Hugo
La Légende des siècles – Tome 1 (Extrait)
Montfaucon
I – Pour les oiseauxA l’heure où le soleil descend tiède et pâli,
Seul à seul, près du bois de Saint-Jean-d’Angély, L’archevêque Bertrand parlait au roi Philippe :
– Roi, le trône et l’autel sont le même principe ; Défendons-nous ensemble ; il faut de tous côtés Du front du peuple obscur chasser les nouveautés.
Sauver l’Église, ô roi, c’est vous sauver vous-même. L’État devient plus fort par la terreur qu’il sème,
Et par le tremblement du peuple s’affermit ; Toujours, quand elle eut peur, la foule se soumit.
Il n’est qu’un droit : régner. Le nécessaire est juste. Les quatre grands baillis du roi Philippe-Auguste, Toutes les vieilles lois, c’est trop peu désormais ; Pour arrêter le mal, sur de hautains sommets,
Il faut la permanence étrange de l’exemple ; Sire, les schismes vont à l’attaque du temple ; Le peuple semble las d’être sur les genoux ; La révolte est sur vous, l’hérésie est sur nous ;
D’où viennent ces essaims tumultueux d’idées ? Des profondeurs que nul prophète n’a sondées, Peut-être de la nuit, ou peut-être du ciel.
Parlons bas. Écoutez, roi providentiel.
Rien n’est plus effrayant que ces sombres descentes D’instincts nouveaux parmi les foules frémissantes ; Ces chimères d’en haut s’abattant tout à coup Volent, courent, s’en vont, reviennent, sont partout, Ouvrent les yeux fermés, fouillent les têtes pleines, Se mêlent aux esprits, se mêlent aux haleines, Blessent les dogmes saints dans l’ombre, et, fatal jeu, Frappent l’homme endormi de mille becs de feu ; Elles tentent, troublant le mystère où nous sommes, Un travail inconnu sur le cerveau des hommes,
Leur ôtant quelque chose et leur donnant aussi ; Quoi ? c’est là votre perte et c’est là mon souci.
Que font-elles ? du jour, du mal ? Qu’apportent-elles ? Un souffle, un bruit, le vent qui tombe de leurs ailes ; Je l’ignore ; ici Dieu m’échappe ; mais je sais
Qu’il ne nous reste rien quand elles ont passé.
Le roi Philippe écoute, et l’archevêque songe, Et vers la papauté son bras pensif s’allonge.
– Chassez les nouveautés, roi Philippe.
En marchant,
Tous deux rêveurs, ils sont arrivés près d’un champ Qu’emplit de son frisson toute une moisson mûre ; Au-dessus des épis jetant un long murmure,
Sous de hauts échalas plantés parmi les blés, Flottent, mouillés de pluie et de soleil brûlés,
A des cordes que l’air pousse, éloigne et ramène, De hideux sacs de paille ayant la forme humaine ;
Nœuds de débris sans nom, lambeaux fous, balançant On ne sait quel aspect farouche et menaçant ;
Les oiseaux, les moineaux que le blé d’or invite, L’alouette criant aux autres : Vite ! vite !
Accourent vers le champ plein d’épis ; mais, au vent, Chaque haillon devient lugubrement vivant,
Et tout l’essaim chantant s’effraie et se dissipe.
– Quel est donc le moyen de régner ? dit Philippe. Comme le roi parlait, l’archevêque pieux
Vit ce champ, hérissé de poteaux et de pieux
Où pendaient, à des fils tremblant quand l’air s’agite, Des larves qui mettaient tous les oiseaux en fuite.
Et, le montrant au roi, Bertrand dit : Le voici.
II – Pour les idéesEt c’est pourquoi, dans l’air par la brume obscurci, Depuis ces temps de deuil, d’angoisse et de souffrance, Au-dessus de la foule, au-dessus de la France,
Comme sur Babylone on distingue Babel, On voit, dans le Paris de Philippe-le-Bel, On ne sait quel difforme et funèbre édifice.
Tas de poutres hideux où le jour rampe et glisse, Lourd enchevêtrement de poteaux, de crampons,
Et d’arcs-boutants pareils aux piles des vieux ponts. Terrible, il apparaît sur la colline infâme.
Les autres monuments, où Paris met son âme, Collèges, hôpitaux, tours, palais radieux,
Sont les docteurs, les saints, les héros et les dieux ; Lui, misérable, il est le monstre. Fauve, il traîne Sur sa pente d’où sort une horreur souterraine, Son funeste escalier qui dans la mort finit ;
Tout ce que le ciment, la brique, le granit, Le fer, peuvent avoir de la bête féroce,
Il l’a ; ses piliers bruts, runes d’un dogme atroce, Semblent des Irmensuls livides, et ses blocs Dans l’obscurité vague ébauchent des Molochs ; Baal pour le construire a donné ses solives
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Où flottaient des anneaux que secouaient les dives, Saturne ses crochets, Teutatès ses menhirs;
Tous les cultes sanglants ont là leurs souvenirs ; Si le lierre ou le houx dans ses dalles végète,
Si quelque ronce y croît, la feuille horrible jette Une ombre onglée et noire, affreux stigmate obscur,
Qui ressemble aux cinq doigts du bourreau sur le mur. Vil bâtiment des temps fatals fatal complice !
Il est la colonnade immonde du supplice, L’échafaud que le Louvre a pour couronnement, La caresse au tombeau, l’insulte au firmament ; Et cette abominable et fétide bâtisse
Devant le ciel sacré se nomme la Justice,
Et ce n’est pas la moindre horreur du monument De s’appeler l’autel en étant l’excrément.
Morne, il confine moins aux Paris qu’aux Sodomes. Spectre de pierre ayant au front des spectres d’hommes, Inexorable plus que l’airain et l’acier,
Il est, il vit, farouche et sans se soucier
Que le monde à ses pieds souffre, existe ou périsse, Et contre on ne sait quoi dans l’ombre il se hérisse ; A de certains moments ce charnier qui se tait Frissonne, et comme si, triste, il se lamentait,
Mêle une clameur sourde aux vents, et continue En râle obscur le bruit des souffles dans la nue ; Là grince le rouet sinistre du cordier.
Du cadavre au squelette on peut étudier
Le progrès que les morts font dans la pourriture ; Chaque poteau chargé d’un corps sans sépulture Marque une date abjecte, et chaque madrier Semble le signe affreux d’un noir calendrier.
La nuit il semble croître, et dans le crépuscule
Il a l’air d’avancer sur Paris qui recule.
Rien de plus ténébreux n’a jamais été mis Sur ce tas imbécile et triste de fourmis Que la hautaine histoire appelle populace.
Ô pâle humanité, quand donc seras-tu lasse ?
Lugubre vision ! au-dessus d’un mur blanc Quelque chose d’informe et qui paraît tremblant Se dresse ; chaos morne et ténébreux ; broussaille De silence, d’horreur et de nuit qui tressaille ;
On ne voit le nuage, et l’ombre aux vagues yeux, Et le blêmissement formidable des cieux,
Et la brume qui flotte, et l’astre qui flamboie, Qu’à travers une vaste et large claire-voie
De poutres, dont chacune est un sanglant barreau ; On dirait que Satan, l’infâme ange bourreau,
Dont la rage et la joie et la haine, acharnées, Exécutent Adam depuis six mille années, Sur ces fauves piliers a posé de sa main
La grande claie où fut traîné le genre humain. C’est, dans l’obscurité lugubrement émue, De la terreur, bâtie en pierre, et qui remue ; C’est délabré, croulant, lépreux, désespéré ; Les poteaux ont pour toit le vide ; le degré Aboutit à l’échelle et l’échelle aux ténèbres ; Le crépuscule passe à travers des vertèbres
Et montre dans la nuit des pieds aux doigts ouverts ; Entre les vieux piliers, de moisissure verts,
Blêmes quand les rayons de lune s’y répandent,
Là-haut, des larves vont et viennent, des morts pendent, Et la fouine a rongé leur crâne et leur fémur,
Et leur ventre effrayant se fend comme un fruit mûr ; Si la mort connaissait les trépassés, si l’homme Valait que le tombeau sût comment il se nomme,
Si l’on comptait les grains du hideux chapelet, On dirait : – Celui-ci, c’est Tryphon, qui voulait Fêter le jour de Pâque autrement qu’Irénée ; Ceux-là sont des routiers, engeance forcenée, Gueux qui contre le sceptre ont croisé le bâton ; Cet autre, c’est Glanus, traducteur de Platon ; Celui-ci, que des lois frappa la prévoyance,
Osa propager l’art du sorcier de Mayence, Et jeter à la foule un Virgile imprimé ;
C’est Pierre Albin ; l’oubli sur lui s’est refermé ; Cet autre est un voleur, cet autre est un poète.
Derrière leur tragique et noire silhouette, L’azur luit, le soir vient, l’aube blanchit le ciel ; Le vent, s’il entre là, sort pestilentiel ;
Chacun d’eux sous le croc du sépulcre tournoie ; Et tous, que juin les brûle ou que janvier les noie,
S’entreheurtent, fameux, chétifs, obscurs, marquants, Et sont la même nuit dans les mêmes carcans ;
Le craquement farouche et massif des traverses Accompagne leurs chocs sous les âpres averses, Et, comble de terreur, on croirait par instant Que le cadavre, au gré des brises s’agitant,
Avec son front sans yeux et ses dents sans gencives, Rit dans la torsion des chaînes convulsives ; L’exécrable charnier, sous ses barres de fer, Regardant du côté de Rome et de l’enfer,
Dans l’étrange épaisseur des brumes infinies Semble chercher au loin ses sœurs les gémonies, Et demander au gouffre où nul astre n’a lui
Si Josaphat sera plus sinistre que lui ;
Et toujours, au-dessus des clochers et des dômes Le vent lugubre joue avec tous ces fantômes, Hier, demain, le jour, la nuit, l’été, l’hiver ;
Et ces morts sans repos, où fourmille le ver Plus que l’abeille d’or dans le creux des yeuses, Cette agitation d’ombres mystérieuses, L’affreux balancement de ces spectres hagards,
Ces crânes sans cheveux, ces sourcils sans regards, Ce grelottement sourd de ferrailles funèbres, Chassent dans la nuée, à travers les ténèbres,
Les purs esprits de l’aube et de l’azur, venus Pour s’abattre au milieu des vivants inconnus, Pour faire leur moisson sublime dans la foule, Dire aux peuples le mot du siècle qui s’écoule, Et leur jeter une âme et leur apporter Dieu ;
Et l’on voit, reprenant leur vol vers le ciel bleu, La sainte vérité, la pensée immortelle, L’amour, la liberté, le droit, heurtant de l’aile Le Louvre et son beffroi, l’église et son portail,
Fuir, blancs oiseaux, devant le sombre épouvantail.
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Flora – Archipiada – Thaïs – Echo – Heloïs – Pierre Esbaillart – royne – Buridan – Blanche Berthe au grand pied – Bietris – Allys – Jehanne | |
Complément Paul Verhuyck – François Villon et les neiges d’antan |