Le récif où le cœur des vagues s’est brisé

Reading Time: 6 minutes
Texte musiqué et dit
   
Texte musiqué et dit
 
Composition pour :
Piano, Violons, Violoncelles, Timbales,  Tambour et texte dit.
Réalisé entre 2009 et 2010.
Claire Dutheil est «Elle»
Philippe Jeay est Isidore Ducasse ( Comte de Lautréamont )
Je suis l’Entité ( la voix est modifiée ) et Voltaire 
Texte musiqué et ditTexte musiqué et dit

 

Le récif où le cœur des vagues s’est brisé

 

Vous n’êtes rien
Figés, enfermé…
Ici, tout n’est qu’errements.

La vérité mue incessamment…
Vous exigez celle de l’autre et escamotez la votre.
Pour cela il vous faut être autre.

Vous n’êtes rien.

Je vous vois et vous observe.
Vous êtes libres, oh, oui libres.
Libres de ne pas exister, de ne croire en rien, d’être manipulés, utilisés, manœuvrés, exploités.
La peur et sa soeur Anxiété vous régissent…

Je vous sais proies favorites des boucaniers…
D’êtres vils, manipulateurs, étranges martyrs séduisants et larmoyants.
Votre chair délicieuse sera bientôt suspendue à leurs bastions avides.
Misérables trophées, pantelants et grotesques…
Désarticulés
 
Je ne vous plains pas.
Vous ne m’êtes rien.
 

Il survient parfois le désir d’enfoncer mes serres dans cette pâture blafarde et d’en recueillir le sang…
Non pour m’en abreuver mais pour en goûter la couleur…
Est-elle amère ?
Ce vin de vie aurait-il été gâté par la veulerie de vos gestes ?
Je dois m’en assurer…
Je sais, un peu plus, je vous estropie…
« Mais de grâce, remerciez-moi , je vous assiste et vous aide dans votre tâche : vous passez vos vies à vous mutiler les uns, les autres.
Auriez vous quelques jouissances en cet endroit ? »

 

De temps en temps, j’entends encore Isidore se lire :

« J’ai vu, pendant toute ma vie, sans en excepter un seul, les hommes, aux épaules étroites, faire des actes stupides et nombreux, abrutir leurs semblables, et pervertir les âmes par tous les moyens. »

Savez vous, que sur ce récif sombre où se brise l’âme des vagues, je médite cette phrase mollement et m’en délecte.
Là, je peins vos vies de couleur amère…

 

Vous n’êtes rien… Vous n’êtes rien…
Vous n’êtes rien… Vous n’êtes rien…

 

Sur la muraille un chefaillon vagit sa peur et invective ses inférieurs d’infortune.
Bien sur qu’il leur impute son ravage, qui d’autres…
Lui ?
Impossible…
N’a-t-il pas toujours donné les bonnes instructions, n’a-t-il pas été équitable ?
Plus loin, sa compagne, flétrie depuis bien longtemps, n’est plus qu’un pitoyable marmonnement.
A-t-elle déjà dialogué avec cet homme, a-t-il déjà conversé avec cette femme ?
Je m’amuse à les regarder s’avachir dans leurs angoisses…
Ils ne sont pas tellement différents, qu’avant…
 

Ils ne sont rien. Ils ne sont rien. Ils ne sont rien. Ils ne sont rien.

 

( il se lève sur le rocher et son regard est dans le vague. Apparaît, sur la plage, une femme. Elle le regarde, le soleil derrière elle.)

Elle
                 – « Qui êtes vous ?
Lui
                 – Rien, une ombre, une illusion.
Elle
                 – Pourtant, je vous ai entendu parler…
Lui
                 – Il m’arrive parfois de converser avec les vagues…
Elle
                 – Ha !… Et les vagues vous entendent…
Lui
                 – Épisodiquement
Elle
                 – Seriez-vous un dieu ?
Lui
                 – C’est un concept ridicule.
Elle
                 – Alors d’où vous vient cette singulière apparence ?
Lui
                 – Vous voyez une différence ?
Elle
                 – Oui.
Lui
                 – Regardez mieux…
Elle
                 – Vous êtes dans mon ombre !
Lui
                 – Vous êtes dans le soleil…
Elle
– De quoi parliez vous ?
Lui
                 – Du monde, de votre monde…
Elle
                 – N’est-il point le vôtre ?
Lui
                 – Non. Je n’appartiens à rien et rien ne m’appartient. A cet instant je n’existe que parce que vous êtes ici.
Elle
                 – C’est insolite.
Lui
                 – Pour vous certainement.
Elle
                 – Il y a quelque chose d’inaccoutumé ; malgré le vent et les vagues il règne sur ce rivage un étrange silence…
Lui
                 – Là où je me pose tout n’est plus que paix.
Elle
                 – Je ne n’arrive plus à concevoir ce mot…
Lui
                 – Je sais, vous avez oublié. Peut-être ne vous l’a ton jamais appris. Mais qu’avez-vous donc appris ?
 
( elle s’éloigne sur la plage… )
Elle
                 – Rien d’important, quelques futilités publiques, quand j’y pense…
Lui
                 – C’est dommage, il y a tant de choses à découvrir… Mais vous vous éloignez ?

Elle
                 – Oui, j’ai peur du calme. De plus vous entendre et comprendre me perdrait.
Lui
                 – Vous devriez m’écouter.
Elle
                 – Non ! J’ai peur, tout le monde a peur et cette peur nous empêche d’aimer… Si je vous entends et vous comprend je vais changer et tous me rejetterons.

Lui
                 – Alors je continuerai seul à parler aux vagues.
Elle
                 – Elles n’entendent rien.
Lui
                 – Il y a tellement de certitudes en vous…
Elle
                 – Juste pour survivre.
Lui
                 – J’en suis navré.
Elle
                 – Vous ne devriez pas… il n’y a rien ici…
Lui
                 – Il y a tout ! Vous devriez rester et entendre…
Elle
                 – Je ne dois pas…
Lui
                 – Pourquoi ?
Elle
                 – Je pressens ce que vous allez dire et cela m’effraie…
Lui
                 – Encore quelques mots et je partirai, laissant revenir le tumulte des vagues et du vent.
Elle (comme un sanglot)
                 – Je ne veux plus entendre, ce silence m’effraie et vous me troublez ! Je ne suis pas prête nous ne sommes pas prêts.
Lui
                 – Je ne peux rien pour vous…
Elle
                 – Je ne veux plus vous écouter, je ne suis pas prête nous ne sommes pas prêts. Personne ne veut comprendre, personne ne veut voir. Je ne veux pas être seule, cela ne se peut pas
Lui
                 – J’entends fort et clair en vous. Vous êtes persuadée que l’amour s’est enfui ?
Elle
                 – Vous ne le croyez pas ?
Lui
                 – Non je crois qu’il se cache. Il a peur de vous.
Elle
                 – Je vous en prie pardonnez-moi, si je veux vivre je dois vous fuir…

 

( Elle s’éloigne et disparaît. Lui continu son monologue)

J’entends encore l’atroce grincement des ongles sur les portes de métal derrière lesquelles, dans un gaz corrompu, vous mitent à mourir vos semblables.

Il résonne encore, au milieu des rires, le bruit des os rompus des restes humains suppliants mis en roue.
Et ceux fichés en pal qui, n’arrêtant pas d’expirer, gargouillaient leurs affres en place publique couverts d’immondices généreusement offertes par un public hilare. Mourir par le fondement quoi de plus drôle !

Celles qui, après être passées dans vos mains séculières et cruelles, furent brûlées vives, mendiant votre clémence.

N’entendez vous plus, parmi le bruit des pierres, les horribles plaintes de celles et ceux que vous lapidâtes pour magnifier vos croyances…

L’inventaire est long, presque infini. Dois-je continuer ?
Non…
C’est curieux, quand j’y médite, comme votre mémoire est sélective et vos préceptes si bien ajustés.
Vos gens d’églises, vos serviteurs de divinités despotiques et d’état ont une imagination fertile pour vous réduire et vous nuire…

Il me vient à l’esprit une phrase de Voltaire :

« A l’égard de ce nombre innombrable de supplices, dans lesquels des fanatiques imbéciles ont fait périr tant d’autres fanatiques imbéciles, je n’en parlerai plus, quoiqu’on ne puisse trop en parler… »

 

 

J’arrête là car il me vient comme une lassitude…

Et je dois m’en aller

 

Vous n’êtes rien… Vous n’êtes rien…
Vous n’êtes rien… Vous n’êtes rien…

 

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