à l’écoute :
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Friedrich Wilhelm Nietzsche
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AVANT PROPOS |
Il faut être habitué à vivre sur des montagnes, à voir au dessous de soi le pitoyable bavardage de la politique du jour et de l’égoïsme des peuples. Il faut que l’on soit devenu indifférent, il ne faut jamais demander si la vérité est utile, si elle peut devenir pour quelqu’un une destinée… Une prédilection des forts pour des questions que personne aujourd’hui n’a plus le courage d’élucider ; le courage du fruit défendu ; la prédestination du labyrinthe. Une expérience de sept solitudes. Rassembler sa force, son enthousiasme… Le respect de soi-même ; l’amour de soi ; l‘absolue liberté envers soi-même…
Eh bien ! Ceux-là seuls sont mes lecteurs, mes véritables lecteurs, mes lecteurs prédestinés : qu’importe le reste ?
Le reste n’est que l’humanité. Il faut être supérieur à l’humanité en force, en hauteur d’âme, en mépris…
Frédéric NIETZSCHE. |
Extraits |
Il ne faut vouloir ni enjoliver ni excuser le christianisme : Il a mené une guerre à mort contre ce type supérieur de l’homme, il a mis au ban tous les instincts fondamentaux de ce type, il a distillé de ces instincts le mal, le méchant : l’homme fort, type du réprouvé. Le christianisme a pris parti pour tout ce qui est faible, bas, manqué, il a fait un idéal de l’opposition envers les instincts de conservation de la vie forte, il a gâté même la raison des natures les plus intellectuellement fortes en enseignant que les valeurs supérieures de l’intellectualité ne sont que péchés, égarements et tentations. Le plus lamentable exemple, c’est la corruption de Pascal qui croyait à la perversion de sa raison par le péché originel, tandis qu’elle n’était pervertie que par son christianisme ! […] Un mot encore contre Kant en tant que moraliste. Une vertu doit être notre invention, notre défense et notre nécessité personnelles : prise dans tout autre sens, elle n’est qu’un danger. Ce qui n’est pas une condition vitale est nuisible à la vie : une vertu qui n’existe qu’à cause d’un sentiment de respect pour l’idée de « vertu », comme Kant la voulait, est dangereuse. La « vertu », le « devoir », le « bien en soi », le bien avec le caractère de l’impersonnalité, de la valeur générale – des chimères où s’exprime la dégénérescence, le dernier affaiblissement de la vie, la chinoiserie de Koenigsberg. Les plus profondes lois de la conservation et de la croissance exigent le contraire : que chacun s’invente sa vertu, son impératif catégorique. Un peuple périt quand il confond son devoir avec la conception générale du devoir. Rien ne ruine plus profondément, plus foncièrement que le devoir impersonnel, le sacrifice devant le dieu Moloch de l’abstraction. Que l’on n’ait pas trouvé dangereux l’impératif catégorique de Kant ! Seul l’instinct théologique a pu le prendre sous sa protection ! Une action suscitée par l’instinct de vie prouve sa valeur par la joie qui l’accompagne : et ce nihiliste aux entrailles chrétiennes et dogmatiques considérait la joie comme une objection… Kant devint imbécile. – Et c’était là le contemporain de Goethe ! Cette araignée par destination était considérée comme le philosophe allemand par excellence et l’est encore ! Je me garde bien de dire ce que je pense des Allemands… Kant ne voyait-il pas dans la Révolution française le passage de la forme inorganique de l’État à la forme organique ? Ne s’est il pas demandé s’il existe un événement inexplicable autrement que par une aptitude morale de l’humanité, en sorte que, par cet événement, serait démontré, une fois pour toutes, « la tendance de l’humanité vers le bien » ? Réponse de Kant « C’est la Révolution. » L’instinct qui se méprend en toutes choses, l’instinct contre nature, la décadence allemande en tant que philosophie – voilà Kant ! – |
Le Texte
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Antéchrist – Friedrich Nietzsche |
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